Tout était tellement paisible depuis sa mort. Elle pouvait veiller sur ses enfants depuis la Voûte Céleste, peu importe où ils se trouvaient. Lorsqu'elle les a quittés pour rejoindre leurs ancêtres dans les cieux, tous deux n'étaient que de jeunes apprentis tout juste nommés. À présent, Nuage Acide et Nuage Coloré étaient de grands guerriers au service du Clan du Vent, et rendaient service à leur tribu avec générosité et gentillesse, comme Mélancolie Céleste le leur avait toujours appris. Elle aurait aimé passer plus de temps avec ses petits trésors, mais, malheureusement, le destin - et la maladie en avaient décidé autrement. Mais ils s'en étaient très bien sortis sans elle, et maintenant, Mélancolie pouvait les observer à loisir, depuis le haut du monde. Elle n'avait jamais eu l'honneur d'apparaître en rêve à un chef, un guérisseur ou même à un guerrier pour le prévenir d'un danger. Mais elle était persuadée que l'un de ses deux rejetons deviendrait un jour chef de Clan, et, à ce moment là, elle serait appelée, pour donné sa bénédiction à celui qui serait parvenu jusque là. Elle regardait à ce moment là Tornade Acide avec sa compagne et son enfant, une adorable petite fille couleur sable née quelques jours plus tôt. La petite dormait contre le ventre tout chaud de sa mère, et la défunte eut un petit pincement au cœur en contemplant cette merveille tout en sachant qu'elle ne pourrait jamais passer du temps avec elle, comme une grand-mère le fait avec ses petits enfants. Cependant, Mélancolie Céleste essayait de se dire qu'elle pourrait veiller sur elle depuis la place qu'elle occupait dans le ciel - bien maigre consolation, comparé à une vie passée auprès d'êtres aimés. Elle tentait de se dire, qu'un jour, ils la rejoindraient tous, même si la reine couleur flamme espérait que ce jour viendrait le plus tard possible - il serait fort égoïste de sa part de souhaiter le contraire. Ses yeux se promenaient sur son fils, sa petite-fille, et sa belle-fille, Rivière d'Espoir. Elle avait beau se répéter la même chose tous les jours pour se convaincre elle-même, mais au fond, Mélancolie ne rêvait que d'une chose : être auprès de sa famille, dans le monde des vivants.

Tornade Acide donna une délicate lichette sur la joue de Petite Perle, sa fille nouvellement née. Quand Rivière d'Espoir lui avait annoncé qu'elle était enceinte, le guerrier roux - tout comme sa mère - avait d'abord paniqué. Il se trouvait trop jeune, et sa relation avec sa compagne était trop fraîche à son goût pour qu'un enfant naisse déjà de leur union. De plus, il pensait ne pas avoir les épaules pour être père. Mais les lunes sont passées, et peu à peu, l'appréhension de devenir parent s'est muée en une excitation incroyable, qui le faisait rayonner, lui et tout son entourage. Le jour de l'accouchement, une angoisse terrible l'avait saisi. Et si il y avait des complications ? Si Rivière d'Espoir, le bébé, ou pire, les deux, venait à ne pas survivre ? Mais il faisait confiance au guérisseur du Clan du Vent. Plusieurs heures plus tard, après une longue attente d'angoisse et d'hystérie, ponctuée de cris et de pas rageurs, son adorable enfant était née. C'était une petite fille, à la fourrure crème sablée comme sa mère, et aux yeux bleus qui semblaient presque transparent tant ils étaient clairs, comme l'étaient ceux de Mélancolie Céleste, sa mère qui chassait à présent aux côtés de leurs ancêtres depuis la Toison d'Argent. Il l'avait tout de suite aimée, avec sa petite bouille d'ange et ses petites pattes toutes douces ! Voilà maintenant deux semaines que Petite Perle avait vu le jour. La petite commença à couiner, signe qu'elle avait faim. Depuis la veille, Tornade Acide et Rivière d'Espoir lui donnaient à manger de la viande tendre, qu'elle grignotait du bout de ses minuscules crocs. Le jeune guerrier la regardait tendrement, comme le plus beau des joyaux. C'est à ce moment là que Flocon d'Argent, un des vétérans, s'approcha de lui :

- Tornade Acide, nous avons besoin de toi pour chasser aujourd'hui, il ne reste presque rien sur la pile de gibiers.

Il se tourna, et constata en effet que les réserves du camp étaient quasiment inexistantes. Il hocha gravement la tête en signe d'approbation. Il pressa son museau contre celui de Rivière d'Espoir, donna un coup de langue affectueux à Petite Perle, avant de tourner les talons et de sortir du camp du Clan du Vent.

Orage Coloré était dans la tanière du chef, en pleine discussion avec Étoile d'Or. Tornade Acide partait. À la chasse. Mélancolie Céleste le regarda s'éloigner, avant de reculer. Elle ne pouvait pas veiller sur ses fils indéfiniment, cela lui ferait plus de peine qu'autre chose. La défunte errait dans les grandes plaines du ciel, ou nul n'allait. Quand la nostalgie de sa vie la rattrapait, elle se posait là, quelques minutes, et comptait jusqu'à cinq cents. Sa Grande-Ma lui avait appris ça lorsqu'elle était toute petite. Elle lui répétait que compter jusqu'à cinq cents permettait de chasser les mauvaises pensées et la tristesse. Mélancolie n'en croyait pas un mot à l'époque, mais en le faisant - au départ, plus pour lui faire plaisir qu'autre chose - elle s'est aperçue que sa Grande-Ma avait raison. Elle ressentait moins de choses négatives après avoir compté jusqu'à cinq cents. Mélancolie Céleste se laissa aller à cette étrange croyance. Un, deux, trois, quatre ... et ainsi de suite. Rien ne pouvait la troubler quand elle comptait jusqu'à cinq cent. Elle restait impassible, dans les grandes plaines. Trente-deux, trente-trois, trente-quatre ... Aucun bruit ne la dérangeait. Quatre-vingt-dix, quatre-vingt-onze ... Soudain, Mélancolie Céleste sentit un crépitement dans l'air. Ce qui était inhabituel. Elle ouvrit les yeux, perdant le fil de son décompte. Il n'y avait rien ni personne, mais il y avait comme de l'électricité, une tension qu'il ne devait pas y avoir dans les grandes plaines du ciel. Alors elle attendit, patiemment. Mais rien ne venait. Alors qu'elle allait recompter les cinq cents, une petite particule blanche apparut, juste devant elle. Intriguée, la défunte s'approcha, et essaya de donner un coup de patte dedans. Cependant, elle passa à travers. Elle n'avait absolument aucune idée de ce que c'était, ainsi elle resta là, à contempler cette minuscule particule venue de nul part. Quelques minutes passèrent, mais toujours aucun évènement. Elle allait abandonner, quand la particule s'agrandit. Mais pas qu'un peu, elle grossissait à vue d'œil, comme si elle se nourrissait de tout ce qu'il y avait autour pour se développer. Elle ne savait pas si la peur pouvait exister dans la mort, mais à cet instant, Mélancolie ressentait une détresse et un effroi comme jamais auparavant. Depuis son trépas, jamais rien de tel n'était jamais arrivé ici ! Puis le trou s'arrêta de grandir, jusqu'à former un grand portail, assez grand pour laisser passer plusieurs chats en même temps. Un portail ? Dans la tête de la chatte rousse se bousculait mille et une questions. Que devait-elle faire ? Appeler les autres ? Ou essayer de le franchir seule ? Elle n'était pas sereine, et n'avait jamais entendu parler d'une chose pareille dans la contrée. Mais rien ne lui assurait qu'elle allait retrouver le portail en partant chercher les autres. Elle avait toujours eu un caractère très impulsif, mais ni une ni deux, Mélancolie Céleste sauta dans le portail, sans penser aux conséquences monstrueuses que ça allait engendrer pour CerfBlanc.

Elle eut envie de crier, mais rien ne vint. La chatte se sentit tomber, tomber, tomber ... Jusqu'à sentir le sol contre sa joue. Une vive douleur se répandit dans tout son corps, elle laissa échapper un gémissement. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps avant de constater que cette situation était totalement absurde. Elle était morte. Comment pouvait-elle ressentir de la douleur, infiniment petite soit-elle ? Ce n'était pas logique. Mélancolie ouvrit les yeux. Une lumière blanche l'aveugla, mais une fois que sa vision fut adaptée, elle voyait de grandes formes flous. Elle voyait un peu de couleurs, surtout du vert. Elle se redressa tant bien que mal sur ses membres encore tremblant. Les formes prirent lentement l'apparence d'arbres, et elle reconnut autour d'elle une forêt. Mais où diable était-elle ? Elle marcha un peu, toujours confuse. Elle arrivait à sentir des odeurs, des odeurs bien trop familières à son goût. Soudain, elle entendit un craquement. Quelle idiote, elle venait de marcher sur une branche ! Elle perçut un autre son, mais qui ne venait pas d'elle cette fois-ci. Mélancolie se cacha, se mettant face au vent pour que son odeur ne soit pas rapportée. Elle attendit. Encore. Et encore. La chatte rousse allait sortir, quand une silhouette se découpa derrière un buisson. Elle ne voyait pas bien de là ou elle se trouvait, mais le nouveau venu avança dans sa direction. Son pelage enflammé se découpait sur la cime des arbres, et il semblait avoir des yeux verts perçants. Il avait l'air grand, doté d'une solide carrure. Il ressemblait trop à Lui, mais c'était impossible. Il n'était pas mort. Et pourtant, en s'approchant d'avantage, le guerrier présentait une cicatrice à l'œil droit. Que lui avait son frère quand ils étaient petits, à force de trop jouer. Tornade Acide. La tête de Mélancolie Céleste lui tourna, elle faillit défaillir. Son fils n'était pas mort, c'était impossible. Alors, une évidence s'imposa, une évidence dont elle n'était pas sûre en s'éveillant, mais dont l'idée avait germé dans son esprit sans grandes convictions. Toutes ces odeurs qu'elle reconnaissait, ces chemins qu'elle avait déjà rencontré, et Tornade Acide. Il n'était pas mort, non. C'était le contraire. C'était elle. Son vœu le plus cher, celui auquel elle pensait secrètement sans jamais l'oraliser, s'était réalisé.

Elle était dans CerfBlanc. Elle était à quelques mètres de son fils. Elle était vivante.

Il n'y avait vraiment rien ! Pas la moindre trace d'une quelconque proie. Tornade Acide commençait à désespérer. Cela faisait presque une heure que le jeune guerrier avait quitté le camp du Vent pour ramener du gibier, sans succès. La saison des neiges allaient bientôt arriver, la nourriture se faisait rare à présent ... À bout de force, il se laissa aller contre un arbre. Si il ne ramenait pas à manger à la fin de sa chasse, qui sait quel membre du Clan serait sous-nourri ? Il imagina un instant Petite Perle, la faim lui tenaillant le ventre, piaillant de tout son minuscule être. Cette pensée lui était si insupportable ! C'est ainsi que Tornade Acide récupéra son aplomb - grâce à l'inquiétude paternelle. Il mobilisa tous ses sens afin de débusquer la plus petite souris ou le plus frêle des lièvres se trouvant dans les environs. Il reniflait partout, regardait partout, et essaya d'entendre tout ce qui se disait autour de lui. Il ferait tout pour nourrir son Clan, et sa fille. Ses muscles se tendirent quand il perçut un craquement de branche. Tornade Acide se plaqua contre le sol, et avança à pas feutrés, afin de surprendre sa proie. Aucune odeur ne vint lui chatouiller le museau, sa future victime devait se trouver face au vent. Le son qu'il avait entendu le mena devant un buisson d'églantiers. Il plissa les yeux, mais au lieu de distinguer une souris quelconque, c'est une silhouette rousse, plutôt grande qui se dessina. Un autre félin ? Sans aucun doute. Et ce dernier n'avait sûrement vue également. Le guerrier du Vent s'arrêta à quelques longueurs de queue de renard des broussailles. Si le matou se cachait, cela devait dire qu'il n'appartenait pas au Clan du Vent. Il pouvait être solitaire ou, pire, un membre d'un Clan rival. Dans les deux cas, ils n'étaient pas les bienvenus sur le territoire de la lande. Sans crier gare, Tornade Acide bondit sur le félin mystère. Sa victime, totalement prise au dépourvu, n'essaya même pas de riposter, ou même de se défendre. C'était une femelle, au pelage enflammé. Jusque là, rien ne bien extraordinaire. Mais le détail qui l'acheva, c'était ses yeux : bleus tellement clairs qu'ils semblaient transparents. Il ne connaissait que deux personnes possédant de telles prunelles dans CerfBlanc : sa fille, Petite Perle, et ...

- Mon fils, murmura péniblement la femelle, écrasée sous le poids de Tornade Acide.

Ce dernier se releva brusquement. Il n'avait jamais été aussi paniqué ! La situation lui échappait totalement. C'était impossible, absurde. Sa mère était morte. Morte ! Comment pouvait-elle se tenir devant lui, en cet instant, alors que lui était bien vivant ? Son cœur se mit à battre à la chamade, son souffle devint saccadé, et ses pattes se mirent à trembler. Il avait peur, peur comme jamais auparavant. Était-elle un mirage ? Non, sinon il n'aurait pas senti sa fourrure sous ses coussinets. Était-il en train de rêver ? Il dû admettre que non, ce qu'il vivait était bien réel. Mais ... Bon sang, Mélancolie Céleste était morte alors qu'il n'était encore qu'un apprenti ! Elle n'a pas pu revenir d'entre les morts ! La chatte le regarda de ses grands yeux transparents, avec un air qui devait être aussi perdu que le sien. Elle non plus n'avait pas l'air de bien comprendre ce qu'il venait de se passer.

- Je reviendrai ...

Et sur ces dernières paroles, Mélancolie prit la fuite.

Tornade Acide resta quelques minutes sans bouger, trop choqué et déboussolé pour esquisser le moindre mouvement. Ce qu'il venait de voir ... Comment était-ce seulement envisageable ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Un million de questions, qui restaient sans réponse. Il ne savait pas comment. Il ne savait pas pourquoi. Mais il y a une chose dont le jeune mâle était sûr.

Il avait vu sa mère. Il n'avait pas rêvé. Elle était vivante.

Étoile d'Or hocha gravement la tête. Elle fit signe à ses guerriers de sortir d'un léger mouvement de queue, avant de pousser un long et profond soupir. Deux de ses chasseurs lui avaient rapporté les dires d'un autre félin, Tornade Acide, actuellement consigné dans la tanière de Chagrin d'Orage. Après qu'il eût quitté sa compagne et son nouveau-né pour aller chasser, il serait tombé sur sa mère, Mélancolie Céleste, avant que cette dernière ne prenne la fuite. Seul bémol : la jolie chatte sablée, que la meneuse du Clan du Vent connaissait à peu près - à peu près car Étoile d'Or était connue pour être du genre associable - était morte il y a quelques temps déjà. Quelques lunes auparavant, la chasseuse bicolore aurait douté de la santé mentale de son guerrier. Comment aurait-il pu voir une morte ? Cela était tout à fait impossible. Cependant, depuis quelques temps, la leader Venteuse faisait des rêves des plus étranges. Elle n'en avait encore parlé à personne, pas même à son compagnon, Vent du Nord. Pendant plusieurs nuits, et même au moment de son dernier voyage vers la Pierre de Lune, elle avait été accablée par des cauchemars, où les morts la poursuivaient. Au début, elle pensait que ses vieux démons revenaient la hanter, ce qu'elle trouvait plutôt bizarre sachant qu'elle avait enfin réussi à trouver un bon équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie de famille. Mais après sa visite aux Hautes Pierres, il ne faisait plus aucun doute pour elle que ses ancêtres tentaient de lui transmettre un message. Maintenant, après l'expérience traumatisante que Tornade Acide venait de vivre, elle comprenait lequel. La jolie guerrière bicolore sortit dans la nuit noire et profonde, seulement éclairée par le doux éclat argenté de la lune et le léger scintillement des étoiles de la Toison. Une brise vint caresser son pelage soyeux, mais Étoile d'Or était trop préoccupée par les problèmes qui n'allaient pas qu'accabler son Clan, mais CerfBlanc entier. Une chose d'énorme était en train de se préparer, plus important que tout ce que le Vent, la Rivière, le Tonnerre et l'Ombre avaient connu jusque là.
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